vendredi 17 décembre 2010

Intégration, innovation et développement culturel

Ce billet est une réponse à Sisyphe qui nous interroge sur l’attractivité durable.  Comment la stimuler par l'innovation et la créativité ?

Le domaine culturel n’est pas celui qui m’occupe… et pourtant nos questionnements finissent toujours par se croiser. Je propose donc à Sisyphe de lui répondre au travers d’une lecture urbaine de la mobilité. La mobilité sociale et culturelle dans la ville.

Incontestablement, nos villes sont aujourd’hui innovantes, et notamment sur les questions de mobilité. Pour mémoire :
-         la mobilité autrement
… et accessoirement le premier tram train de France a été inauguré il y a quelques jours !

Le cas choisi est celui de la ville de Bruxelles qui a engagé une étude sur les déplacements et l’appropriation spatiale des jeunes de trois quartiers (l’un défavorisé, l’autre chic et le dernier intermédiaire). Lors de cette enquête, il leur a été demandé de dessiner sur une carte « leur » Bruxelles : leur perception de la ville, ce qu’ils en connaissent et comment ils la pratiquent. Un diagnostic en marchant en quelque sorte. La lecture des cartes résultant de cette étude est particulièrement intéressante.

La Bruxelles vécue par les jeunes d’Anderlecht (quartier défavorisé)

La preuve par l’image… Les jeunes d’Anderlecht sont cloisonnés à leur quartier. A ce cloisemment géographique s’ajoute un cloisonnement « socio-culturel ». Les jeunes du quartier citent 26 « hobbies »… dont seulement 2 culturels. Piscine, foot ou encore pause au snack se taillent la part belle du gâteau. Et c’est dans la rue ou au parc que l’on joue au ballon, pas au club.


La Bruxelles vécue par les jeunes de Woluwe (quartier chic)

La preuve par l’image ? Pas si sûr… Certes les jeunes de Woluwe ont une pratique plus large et plus diversifiée de leur ville. Pour autant, cette capacité à la mobilité fait-elle preuve d’une capacité à s’intégrer ? Si l’on en croit les témoignages de ces jeunes, nous sommes loin du compte… Je n’en site qu’un, celui de P. 17 ans, musicien, qui se dit « citoyen du monde ». Il n’hésite pas à traverser la ville pour jouer du ska, du rock, du punk… Mais pour aller dans la Bruxelles populaire, son père le conduit. « J’ai mon ampli et ma guitare. J’aime pas trop prendre le métro dans ce coin là… ». Le métro de Bruxelles passe pour un des plus sûr du monde, mais qu’importe : l’adolescent a peur. Il précise : « c’est vrai que la délinquance, pour moi, en fait, c’est quand je sors et que je vois des étrangers » … La preuve par l’exemple, la capacité à la mobilité n’est pas preuve d’intégration, je veux dire par là d’acceptation de la différence. Et pourtant les adolescents de Woluwe ont des activités socio-culturelles bien plus riches. En moyenne, ils citent 41 « hobbies » (contre 26 pour les adolescents des quartiers défavorisés), et plus de la moitié de leurs « hobbies » sont culturels.

Mais ce qu’il y a d’alarmant, c’est que ces mobilités différentes semblent se reproduire dans l’imaginaire, et la façon dont les jeunes se projettent dans l’avenir. Dans les quartiers défavorisés, les adolescents ont tendance à choisir leur formation en fonction non pas de leur envie, mais des offres de l’école proche de chez eux. A contrario, ceux des quartiers chics s’imaginent à Londres, à New York ou toute autre ville rêvée du monde. S’ils restaient à Bruxelles, disent-ils, ils auraient l’impression de ne pas avoir évolué.

Triste paradoxe n’est-ce pas ? Alors que l’étranger fait peur quand il partage les mêmes trottoirs, les mêmes couloirs de métro, les mêmes salles de classe de l’enfance et l’adolescence… Il fait rêver quand on se projette vers l’avenir… Rêver ou fantasmer d’ailleurs ? Le métro de Londres ou de New York est-il réellement plus sûr que celui de Bruxelles ?

Faire la ville, c’est faire société. Et pour faire société, il faut que chaque citoyen puisse participer à la vie de sa cité. Comment faire cette ville, cette société, plus équitable si ceux qui en ont les moyens ne jouent pas le jeu des choix sociétaux qu’ils revendiquent pour les générations futures ? Nous sommes un certain nombre, dans nos métiers, à penser qu’il faut anticiper l’avenir. Nos actions d’aujourd’hui ne doivent pas simplement répondre à l’urgence, mais s’inscrire dans le temps et anticiper les changements sociétaux qui nous seront nécessaires. Ceci passe nécessairement par l’innovation technique. Mais cette innovation technique n’atteindra pas ses objectifs d’équilibre si elle n’est pas accompagnée d’innovations culturelles et sociales… Plus que jamais il nous faut être créatifs. Plus que jamais, il faut que les sciences molles travaillent avec les sciences dures...

Je termine en disant qu’il n’y a qu’en faisant co-marcher nos citoyens que nous arriverons à leur faire partager un intérêt commun. Très certainement que pour poursuivre le travail réalisé dans le cadre de cette étude nous pourrions imaginer un conseil participatif des jeunes de Bruxelles. Ils arpenteraient collectivement les rues, couloirs de métro, équipements de leur ville… et débattraient ensemble des conditions du mieux vivre ensemble. Certainement que le débat serait animé… mais à coup sûr qu’il aboutirait sur un contrat d’une nouvelle sorte. Un contrat de ville innovant, participatif et solidaire. Un contrat de ville qui ne serait pas celui d'un quartier défavorisé... mais celui de toute une ville, et pourquoi pas une agglomération.

NB : une synthèse de l’étude peut être lue dans le n°114 de « Manière de voir » - consacré à l'urbanisation du monde

4 commentaires:

Sisyphe a dit…

Très intéressante cette étude réalisée par la municipalité de Bruxelles (ah cette herbe toujours plus verte chez nos voisins …)
J’ai bien noté les conclusions relatives à la manière de vivre (et de bouger dans) la ville par les jeunes du quartier d’Anderlecht …
Et bien, il n’y a plus qu’à construire un mur !
Nos municipalités hexagonales embarrassées par des quartiers sensibles seraient bien inspirées … d’en faire autant !

Mélanie a dit…

Les murs d'Europe sont finalement tombés... Mais combien de murs sont restés ancrés dans nos têtes?

J'irai bien avec les élus franciliens et bruxellois faire un petit voyage d'étude à Berlin. La ville d'Europe qui par excellence fut à l'ouest la vitrine du capitalisme et à l'est celle du communisme. Comment se renouvelle-t-elle? Quelle nouvelles utopies urbaines invente-t-elle?

Ca fait si longtemps que je rêve d'aller un Berlin... Inscrivons ça aux bonnes résolutions 2011 ! C'est de saison !!!

Sisyphe a dit…

Un lien vers votre très intéressante communication ci-dessus, a été poste sur mon compte Twitter, ci-après :

http://twitter.com/sisyphelsinore

En espérant ainsi que votre rédigé saura connaître une plus ample diffusion.
Cordialement

Mélanie a dit…

Ben j'sais pô quoi dire... Merci

J'suis allée voir, y'a pas mal de parisiens abonnés non? J'espère qu'ils se souviendront que je suis toute toute petite ET provinciale !

...Une plouc quoi !