vendredi 1 octobre 2010

Macchu Picchu

Pablo Neruda – «  Chant Général »

                                                         Alors j’ai grimpé à l’échelle de la terre
Parmi l’atroce enchevêtrement des forêts perdues
Jusqu’à toi Macchu-Picchu.
Haute cité de la pierre scalaire,
Demeure enfin de celui que la terre
N’a point caché sous les tuniques endormies.
Et toi, comme deux lignes parallèles,
Le berceau de l’éclair et le berceau de l’homme
Se balançaient dans un vent plein d’épines.


Mère de pierre, écume des condors.
Haut récif de l’aurore humaine.
Pelle abandonnée dans le premier sable.

Ceci fut la demeure, il reste l’endroit :
Ici les larges grains du maïs s’élevèrent
Avant de redescendre comme une grêle rouge.

Ici le fil doré sortit de la vigogne
Pour vêtir les amours, les tumulus, les mères,
Le roi, les prières, les combattants.
Ici, pendant la nuit, les pieds de l’homme reposèrent
Près des pattes de l’aigle, dans les hauts repaires
Des carnassiers et, à l’aurore,
Ils foulèrent avec les pieds du tonnerre le brouillard raréfié,
Et touchant les terres et les pierres, ils arrivèrent
A les identifier dans la nuit ou la mort.

Je regarde les vêtements, les mains,
Le vestige de l’eau dans la faille sonore,
La paroi adoucie par le contact de ce visage
Qui regarde avec mes yeux les lampes de la terre
Et qui graissa avec mes mains les bois
Disparus :parce que tout, les habits, la peau, la vaisselle,
Les mots, le vin, le pain,
S’effaça, rentra dans la terre.

                                                         Et l’air passa avec ses doigts
De fleur d’oranger sur les endormis :
Mille années, des mois, des semaines d’air,
De vent bleu, d’âpre cordillère,
Qui furent comme de doux ouragans de pas
Lustrant la solitaire enceinte de pierre.


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