mercredi 3 novembre 2010

Roms - Gens du voyage: amalgame ou pas ?

Voilà la question très difficile que des ami(e)s ou parents m’ont posée cet été... Il est difficile de s’exprimer sur ce sujet... Je n’ai pu leur apporter une réponse tranchée, mais simplement mon témoignage. Aujourd’hui, je souhaite partager ce témoignage avec les lecteurs de la blogosphère.

Roms – Gens du voyage : à priori vous ne faites aucun amalgame. Dans les deux cas, il s’agit de minorités vivant en errance sur le territoire Européen. Minorités discriminées et persécutées depuis des siècles et dont il est très difficile de faire valoir encore aujourd’hui les droits. Pour rappeler à notre mémoire quelques faits historiques:

En France, les persécutions contres les nomades ont commencé bien avant l’occupation allemande… 1510 le Grand Conseil interdit de séjour les nomades, bannissement et pendaison en cas de récidive ; 1647 (Louis XIV) les « bohémiens » sont condamnés aux galères ;  1662 Colbert définit comme délit le nomadisme, l’errance et l’oisiveté ; 1724 les bohèmes du Poitou sont déportés en Martinique ; 1802 une rafle de 500 tsiganes à lieu dans les Pyrénées... A des fins de contrôle et de surveillance, un recensement est décidé en 1895. En 1897, une commission est créée et chargée de « rechercher les moyens propres à assurer une surveillance plus étroite des vagabonds et gens sans aveu et à faciliter la découverte des auteurs de crimes et délits ». Par la loi de juillet 1912, la France instaure le carnet anthropométrique d’identité. Chaque fois qu’un nomade s’installe dans une commune, il doit faire viser son carnet auprès des autorités dans un délai de 48h. Dès 1939 la circulation des nomades est interdite dans plusieurs départements. Le 6 avril 1940, un décret-loi interdit la circulation des nomades sur tout le territoire,  et le ministère de l’intérieur charge les Préfets de les assigner à résidence en dehors des agglomérations mais à proximité d’une brigade de gendarmerie. Le bénéfice attendu de cette assignation est de « stabiliser des bandes d’errants qui constituent au point de vue social un danger certain… ». Après la défaite de juin 1940, l’occupant donne l’ordre d’ouvrir les camps pour y interner les Tsiganes. L’ordre est allemand, la réalisation est française, du ressort de l’administration de Vichy. Sans revenir d’avantage sur cette période sombre de notre histoire, il faut savoir que les tsiganes n’ont été libérés des camps qu’en mai 1946… soit un an après la paix. Il faut aussi savoir que le carnet anthropométrique est resté en vigueur jusqu’en … 1969, (juste après 1968... Pour ceux qui douteraient encore des progrès sociaux acquis en 68). Comme son nom l'indique le carnet comprend des informations anthropométriques telles que la longueur de l'oreille droite, des doigts médius et auriculaires gauches... la liste complète est inscrite dans la loi de 1912. La loi de 1969 impose aux citoyens français sans domicile fixe et circulant en France d’être dotés d’un carnet ou livret de circulation (selon l'activité qu'ils exercent et leurs revenus...). Certes les contraintes sont largement assouplies comparées au carnet anthropométrique. Mais ce qu’il faut aussi savoir c’est que cette loi n’a plus jamais fait l’objet d’aucune réforme, les gens du voyage français ont encore l’obligation de régulièrement se présenter au commissariat pour faire viser leur carnet.

Le carnet de circulation tel que prévu par la loi de 1969 permet aux nomades français d’avoir une commune de rattachement où faire valoir leurs droits (droits civiques entre autres droits). Mais ce que l’on sait moins c’est que l’octroi d’une carte nationale d’identité ou d'un  passeport est bien souvent refusé aux gens du voyage. On peut légitimement s’interroger sur une démocratie qui refuse l’octroi d’une CNI a une certaine frange de sa population alors qu’elle n’a aucune difficulté à justifier de sa nationalité française pour obtenir le carnet de circulation… Les nomades seraient-ils condamnés à être d’éternels étrangers de l’intérieur ? Je disais qu'ils avaient un carnet ou un livret de circulation. Ceci dépend de leur niveau de revenu et de leur activité. Lequel d'entre nous aimerait se présenter au bureau de vote avec une carte d'identité rouge, verte, orange, jaune ou violette selon qu'il est commerçant, fonctionnaire, ingénieur, commercial, artiste, assureur... ou pourquoi pas handicapé, homosexuel ou d'origine étrangère ? Un père de famille m'a dit un jour "à force de nous traiter comme des chiens, nous avons appris à aboyer". Bien d'autres minorités pourraient en dire autant.

La dénomination administrative de « Gens du voyage » fait abstraction de la très grande diversité culturelle de ces populations. Ils sont manouches, sinté, gipsy, gitans, yennichs, roms… ou simplement commerçants, artisans, forains… En voulant ranger cette diversité dans une catégorie administrative nous créons nécessairement un amalgame… Et nos concitoyens concernés n’aiment pas cet amalgame, ils le craignent et revendiquent autant qu’ils sont que leur identité culturelle soit reconnue. Au nom de la liberté d’être et d’exister on ne peut qu’approuver ces revendications à ne pas faire d’amalgames. Il s’agit bien là de respecter chaque individu dans sa différence et sa richesse culturelle.

Parmi les idées reçues on entend très souvent « ils ont des caravanes et des voitures luxueuses» … Sous entendu ils ont de l’argent…. Certes les caravanes et véhicules peuvent paraître imposants, mais ils ne sont pas propriétaires d’un pavillon. La caravane paraît luxueuse… peut être, mais c’est le « logement » d’une famille. Tous les français qui vivent en pavillon aspirent à un certain confort. On a du mal à imaginer que nos concitoyens nomades n’aspireraient pas au même confort de la vie moderne. OK me direz-vous, mais ces caravanes, comment les payent-ils… Eh bien c’est très simple, alors même que les propriétaires de pavillons accèdent à des prêts immobiliers (parfois aidés, prêts à taux zéro entre autre) et parfois même à des aides au logement sur les mensualités de prêts… Les gens du voyage financent leur caravane avec des prêts à la consommation et sans aides au logement… la caravane n’étant pas reconnue comme un logement… Inutile de préciser que le taux d’un prêt à la consommation n’est pas comparable à celui d’un prêt immobilier... Et que même s'ils décident de vendre la caravane quelques mois à peine après... Elle n'aura plus jamais sa valeur d'achat. S’agissant de la grosse voiture… je défie n’importe quel propriétaire de pavillon d’arriver à le tracter avec une 2CV… On comprend aisément qu’un 4x4 soit plus adapté… Et après tout, nous croisons tous des concitoyens sédentaires qui n’ont pas de scrupules à sortir leur 4x4 rutilant pour transporter une baguette de pain ou des croissants chauds !

A l’heure où tous nos responsables politiques parlent de lutte contre la précarité énergétique des ménages, je pense que l’on peut tous être d’accord sur le fait qu’il n’y a pas habitat plus précaire énergétiquement qu’une caravane (je ne mets évidemment pas les tentes et abris de cartons dans la catégorie des logements). Pourtant un très grand nombre de départements refusent encore de rendre éligibles les gens du voyage au « Fond Solidarité Energie » sous prétexte que la caravane n’est pas un logement…

Sans faire d’angélisme et énoncer plus loin la liste des inégalités entre nomades et sédentaires, je voudrai juste rappeler à nos mémoires que ceux que l’on nomme les gens du voyage sont nos concitoyens et que nous les côtoyons bien plus que nous le pensons. Ils travaillent dans les champs pour les récoltes, ils sont commerçants sur les marchés ou les brocantes, forains, artistes, artisans ou élagueurs, travaillent sur les grands chantiers… Vous en avez tous forcément croisé dans votre vie.

Le problème de ceux que l’on appelle les Roms, et qui font l’objet d’expulsions, est tout aussi complexe. Il s’agit en fait de citoyens roumains qui migrent vers les pays de l’Ouest. Il faut savoir que le droit à la libre circulation en Europe n’est pas un droit inconditionnel au séjour. C’est à ce titre qu’ils sont qualifiés de migrants illégaux. Vous-même si vous décidiez de partir vivre et travailler en Italie ou en Allemagne il vous faudrait (sous certaines conditions) demander un titre de séjour. Pour autant, le problème des Roms roumains est le même que celui des gens du voyage français. Comme en France il s’agit d’une minorité discriminée et persécutée depuis des siècles… Il faut savoir que pendant plus de 500 ans les Roms ont été esclaves. Pour ceux qui s'intéresseraient à l'Histoire, je vous conseille la lecture de cet article qui a été publié dans la revue « études tsiganes ». Revue dirigée par Alain REYNIERS, ethnologue. http://www.etudestsiganes.asso.fr/tablesrevue/PDFs/vol%2029%20esclavage%20des%20rroms.pdf Pendant la guerre froide et l’édification du mur de fer sous les régimes communistes ils ont été sédentarisés dans les fermes collectives et manufactures d’état pour y travailler… Pour ce qui concerne la Roumanie et depuis la chute du régime de Ceausescu, les Roms ont été chassés et privés de terre… Chassés, privés de travail et de terres pour survivre… que reste-t-il d’autre que la fuite et le rêve d’une vie meilleure ? Bon nombre d’entre eux ont naturellement repris le voyage.

Voilà juste quelques propos pour parler de la réalité qu'il faut apprendre à connaître. Encore une fois il ne s’agit pas de faire de l’angélisme… Des problèmes, il y en a … et parfois de très gros. Mes propos visent juste à rappeler aux esprits qu’il y a aussi énormément d’injustice et d’hypocrisie dans nos sociétés européennes… Tout ça n’est pas simple certes, il faut parler avec sérieux et discernement de ces sujets… Mais il ne faut pas se voiler la face devant le racisme, l’intolérance… et la résistance de nos sociétés à faire progresser certains droits. Car aujourd’hui c’est bien de cela qu’il s’agit, faire progresser les droits des minorités. En aucun cas mes propos visent à nous rendre coupables de l’histoire ou y comparer l’actualité. Aujourd’hui, les populations nomades sont visées (encore), mais elles ne sont de loin pas les seules… En Europe nous avons quelques problèmes non résolus avec notre histoire… Ce sont certainement ces problèmes de notre histoire qui créent des ségrégations et discriminations entre groupes de citoyens minoritaires que l’on veut catégoriser… et je pense qu'il n’est pas bon de vouloir créer un droit pour chacune des catégories. A mon sens, le droit doit être universel, et quand il progresse, il doit progresser pour tous... le problème c'est que le droit a pris pas mal de retard pour certains de nos concitoyens. Ainsi, au moins intellectuellement, il serait temps que l’Europe (et les Nations qui la composent) fassent un amalgame entre gens du voyage et Roms. L’espace européen est un espace de libre circulation et il n’y a aucune raison pour que la mobilité décroisse. L’itinérance des populations nomades fait partie intégrante de ce droit à la libre circulation.

Pour ceux qui voudraient prendre le temps d’un peu de recul je conseille vivement la lecture du courrier international du 19 août http://www.courrierinternational.com/magazine/2010/1033-xenophobie-la-france-epinglee-par-la-presse-internationale

Je termine par ces mots empruntés à Gandhi « voir un problème et ne rien faire, c’est faire partie du problème ». Et j’ajouterai « essayer de comprendre le problème, c’est déjà faire quelque chose ».
  
Ces propos sont un avis personnel forgé au fil du temps et de ma curiosité à mieux connaître les cultures tsiganes. Il est certainement incomplet, et comprend peut être des erreurs. C’est simplement mon témoignage.

2 commentaires:

Tili a dit…

Témoignage bien documenté et très intéressant, merci :-)

Mélanie a dit…

Il n'y a pas de quoi. Tant mieux si chacun peut s'enrichir de l'expérience et de la curiosité des autres. C'est une très bonne nouvelle !